Doriane Souilhol

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Réponses photo, 2016

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La Passion de l’image par Michael Duperrin
Réponses Photo N° 295, octobre 2016

Il est des œuvres entêtantes, qui sans trop qu’on ne sache pourquoi ni comment, nous pénètrent, restent en nous, dans quelque région de l’être, et reviennent à l’improviste à la conscience. Ce qui leur confère ce pouvoir reste généralement énigmatique, et ce mystère fait partie de leur charme. On se demande ce que cette œuvre a de spécial, quel est le savoir qu’elle recèlerait et qui nous échappe. Impossible de dresser une liste exhaustive de ces œuvres, celle-ci varie d’un individu à l’autre et au cours d’une vie.
Les images de Doriane Souilhol font partie pour moi de cette catégorie. Une part importante du travail de cette jeune plasticienne consiste à intervenir sur des images connues, photogrammes de films, photographies de reportage ou d’œuvres d’art. On y trouve quelques motifs récurrents : explosions, bombardements, extases mystiques empruntées à Godard, Dreyer, Le Bernin…
Une fois la photographie choisie et reproduite à petite ou grande échelle, débute alors un long et méticuleux travail de découpes, pliures et déploiements de l’image. Autant d’opérations qui exigent une extrême attention, une patience – et j’imagine – un amour, quasi ascétiques. Au terme du processus, la photographie de départ est devenue un objet tridimensionnel, une sculpture fragile aux formes mouvantes, dans laquelle on reconnaît encore l’image originelle. La délicatesse des opérations n’enlève rien à la violence faite aux images, ni à la violence de ce qu’elles représentent.
“Boom II” est la reproduction en grand format d’une célèbre photographie d’un essai nucléaire. L’image est découpée en fines bandes qui se répandent au sol, évoquant peut-être des retombées radioactives. Mais la description de l’œuvre ne rend pas compte de l’effet qu’elle a sur le spectateur, qui reste interdit face à elle. Au double sens du mot: quelque chose nous est refusé, et l’on reste comme en suspens, interloqué. Il ne s’agit pas seulement du sujet représenté, mais de l’effet des interventions sur l’image. On ne peut rester devant cette photographie dans le confortable sentiment de la reconnaissance d’un cliché bien connu. Le sujet se dérobe et reste pourtant omniprésent. L’image, ouverte, défaite, sort d’elle-même et se met à nous regarder. Ce n’est plus une simple et sage image, mais un corps en lambeaux, comme le Christ flagellé après la Passion et la descente de la croix, un corps semblable au nôtre. Mais, à la différence de la peinture religieuse qui promet l’au-delà de la résurrection céleste, chez Doriane Souilhol il n’y a rien derrière l’image. Ainsi découpée, elle ne révèle que sa matérialité. Au cœur de l’image, comme de l’être, il n’y a rien. Qu’un vide, un creux, une courbure de l’espace peut-être, comme un gant que l’on retourne. Et à cet endroit, les mots manquent, le langage est infirme à dire la présence de cette absence.
Pour autant ce manque constitutif n’a rien de malheureux. C’est même tout le contraire si l’on se détourne de la fascination du vide, que l’on ne cède pas à la sidération de l’étoile perdue. Le vide se fait alors moteur. C’est ce que l’on appelle le désir : ce qui nous pousse à regarder, à fouiller les images, à en fabriquer de nouvelles, à tenter malgré tout de mettre des mots sur ces images pour essayer de dire tout cela.